POURQUOI ?

Croissance de la vacance commerciale, manque de données et étude de cœur.

Mauvaise nouvelle : la vacance commerciale augmente.

Enjeu d’image
La vacance commerciale, c’est l’une des premières choses à laquelle les gens pensent lorsque l’on parle de dévitalisation des centre-bourgs. Lorsque j’explique à des personnes de mon entourage, ou que j’ai rencontré quelques minutes plus tôt, ce que je fais dans la vie, lorsque je leur dis que mon sujet de travail depuis des années, ce sont les petites villes, les petits centre-bourgs, et que je cherche des moyens de conserver ou augmenter leur dynamisme, leur animation, leur attractivité ; j’ai 100% de mes interlocuteurs et interlocutrices qui me parlent des rideaux baissés et des commerces à l’abandon.

On ne me parle pas du cadre naturel proche et accessible depuis ces centre-bourgs, on ne me parle pas des activités associatives souvent très riches, de la proximité des agriculteurs et de la possibilité d’avoir accès à des produits locaux et de qualité, des marchés hebdomadaires souvent particulièrement conviviaux. Non, on me parle d’abord des commerces vides, et ensuite, parfois, des toutes ces choses qui font la richesse des centre-bourgs.

Les rideaux baissés représentent un réel et important enjeu d’image pour les centre-bourgs. D’abord, pour les personnes qui les pratiquent, qui les habitent, parfois depuis plusieurs décennies. Les habitants témoins de la fermeture des boutiques où ils se rendaient quotidiennement pour certaines et qui ont marqué une partie de leurs souvenirs dans la commune. Est-ce qu’il n’est plus important de leur offrir des produits et services à proximité ? Est-ce qu’on les abandonne ?

Et pour les futurs habitants et futures habitantes, pour celles et ceux qui cherchent un nouveau lieu de vie : comment se projeter dans un centre-bourg où l’image renvoyée est celle d’une dynamisme historique, puis fermé et maintenant laissé à l’abandon, symbolisé par les commerces vacants ?

Et puis, il y a tous ceux et toutes celles qui traversent le centre-bourg. Parce qu’ils habitent à proximité, passent par là pour aller travailler, rejoindre l’autoroute ou la gare un peu plus loin. Ils n’ont pas le temps, depuis l’habitacle de leur voiture, de se renseigner et de savoir que cette ville reste peut-être très dynamique, que l’école est possiblement pleine, que de nombreuses activités sont éventuellement proposées à ses habitants et habitantes et que le vie y est sûrement riche et joyeuse. En traversant la ville, parfois à toute allure, ce que l’on voit, c’est les rez-de-chaussée, à hauteur de volant, qui restent vides.

« ‘Mais tu sais bien, les vitrines vides.’ Et c’est le déclic : ‘Ah oui, les vitrines vides !’ Soudain, l’interlocuteur voit précisément de quoi on parle. Et de décrire sa villégiature, sa cité-étalon, les magasins abandonnés et les courses à l’hyper.» [RAZEMON, 2019]



« Les baies vitrées sont tantôt blanchies à la chaux tantôt tapissées de l’intérieur, de lais de papier blanc qui a tourné au jaune. On aperçoit, dans certains locaux, les reliefs d’une activité passée : des étagères vides, la trace de placards au mur, des fils électriques, des présentoirs, des sacs-poubelle. Sur quelques frontons figurent encore des enseignes : marchand d’ameublement, traiteur, auto-école, produits de beauté, institut d’orthopédie, boutique de prêt-à-porter, salon de coiffure, agence immobilière…» [RAZEMON, 2019]



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La vacance commerciale ne représente pas seulement un enjeu important, mais aussi et en fait un enjeu de plus en plus grand. Elle ne fait qu’augmenter... Et le sentiment d’impuissance des maires, mairesses, et présidents et présidentes d’agglomération ne fait-elle aussi qu’augmenter au fur et à mesure que la pste de locaux commerciaux disponibles en centre-bourg s’allonge.

Répartition des communes en fonction de la vacances commerciale constatée en 2015. [d'après IGF et CGEDD, 2016]



Source : Institut pour la Ville et le Commerce, panel de 187 communes.

Le local commercial comme levier
En réalité, la vacance commerciale n’est-pas la seule cause de la dévitalisation des centre-bourgs. Il s’agit autant d’une cause que d’une conséquence de la perte ou réduction du dynamisme des petites communes. Est-ce que les commerces ferment parce que le centre-bourg perd de sa vitalité ? Ou est-ce que le centre-bourg se dévitalise parce que ses commerces se vident ? Sûrement les deux. Ainsi, le sujet de la vacance commerciale ne peut pas être traité sans une analyse fine du contexte, et des autres enjeux de l’attractivité du centre-bourg : le logement, la mobilité, l’emploi, la vie associative, les équipements… Cependant, la recherche ici proposée est l’occasion de prendre le local commerçant comme prisme. C’est à travers la vitrine vide du petit commerce qui ponctue la rue principale du centre-bourg que l’on peut peut-être trouver des clés pour améliorer le cadre de vie de ses habitants et habitantes, en commençant par l’image que renvoie cette boutique elle-même.

La décroissance urbaine, un processus auto-entretenu (d'après FOL S,2012) [CHOURAQUI, 2019]

L'info manquante : étude à l'échelle du centre-bourg et du local.

Un manque de données à l’échelle du centre-bourg

On parle plus souvent des villes plus grandes
Les données partagées entre ces lignes s’appuient sur une bibliographie importante (et non exhaustive) d’études, de rapports, d’articles, de livres, de conférences… qui nous permettent de faire quelques constats à grande échelle. Cependant, les études concernant les plus petites communes françaises restent rares. Plus particulièrement, les études concernant la vacance commerciale sont complexes à réaliser, puisque le statut de ces espaces inoccupés est parfois inaccessible et difficile à mesurer. Quelle est la surface des locaux ? Depuis combien de temps un local doit-il être inoccupé pour apparaître dans les données de la vacance ?

« L’étude de l’Institut pour la Ville et le Commerce porte sur la vacance commerciale et mesure le phénomène dans 190 centres-villes appartenant à des unités urbaines de plus de 25 000 habitants. L’étude de Procos examine 200 centres-villes appartenant à des unités urbaines de plus de 50 000 habitants. Alors même que la lettre de mission ministérielle identifiait les centres-villes des communes rurales de moins de 25 000 habitants comme cibles du travail demandé, le rapport CGEDD-IGF ne porte que sur les communes de 10 000 à 100 000 habitants ainsi que les unités urbaines auxquelles les villes-centres moyennes appartiennent. Enfin, l’Insee s’est penché sur les aires urbaines de plus 20 000 habitants. » [Bourquin, Pointerau, 2017]

Les limites du « centre » ?
Quand on interrogeait des habitants et habitantes dans le cadre d’études de revitalisation, ils nous répondaient régulièrement « mais c’est jusqu’où le centre-bourg? » Et c’est en réalité un peu l’éléphant au milieu de la pièce : lorsque l’on parle de centre-bourg, il n’y a pas de limite rouge marquée au sol, ce qui soulève des problématiques importantes pour tenter de rassembler des données statistiques.

En gardant en tête la définition de l’agence AURA (donnée dans la partie « Où? ») : « le centre d’un bourg ou d’un village correspondant au noyau bâti historiquement constitué. Par son patrimoine bâti et sa trame urbaine ancienne, il est souvent le marqueur identitaire de la commune. […] », nous pouvons, puisque l’objectif est la récolte d’informations plutôt qualitatives que quantitatives, nous permettre de réaliser une recherche dans des centre-bourgs qui n’ont pas de périmètre « officiel » qui limitent le centre-bourg.

Un regard à hauteur de vitrine

L’ambition de DISPO est de réaliser une enquête, sous le prisme du local commercial et de son potentiel. Rares sont les informations (récentes, à jours, etc.) concernant les caractéristiques et les qualités de ces espaces bâtis. En les replaçant toujours dans leur contexte directe (accès, rapport à l’espace public, stationnement) et plus large (dynamiques de la commune, du territoire, socio-démographie), l’objectif est ici de proposer un regard très zoomé sur le local en lui-même. Les projets s’installant dans des friches (industrielles notamment), sont à la mode et plutôt nombreux : ce sujet intéresse beaucoup d’architectes pour la qualité de l’espace bâti et son fort potentiel. Et si l’on prenait le local commercial disponible comme une friche du centre-bourg ? Et si les architectes cherchaient, pour eux aussi, des inspirations et des idées pour les occuper ? Au gré de cette recherche et particulièrement lors des visites et des échanges avec des occupants de locaux commerciaux, des schémas de plans sont réalisés et des données de surface et d’analyse des espaces par exemple sont récoltées dans les lieux dans lesquels nous nous rencontrons. La quantité d’informations récoltées ne peut pas permettre d’en tirer des conclusions généralisables, cependant, elles contiennent sûrement des clés sur des caractéristiques qui facilitent ou compliquent l’occupation nouvelle de locaux commerciaux.

« J'ai une très forte conviction : c'est qu'il y a dans le rez-de-ville un levier très fort pour pouvoir améliores la qualité d'un quartier et la qualité de vie de ses habitants. Le Rez de ville on peut considérer que c'est comme un territoire qui est composé d'espaces bâtis : le rez-de-chaussée, et d'espaces ouverts : une rue, une place, une cour, de l’espace public. Et que selon le degré d'interface que l’on arrive à créer entre ces deux espaces liés, on arrive à bouger quelques leviers, qui bougent quelques paramètres, qui à leur tour contribuent à l'amélioration d'un quartier. » [AUFFRET, 2021]

Mon cœur est à la petite ville.

Nos centre-bourgs, on y tient...

J’ai vingt-sept ans, et même si j’ai déjà habité plusieurs grandes villes en France et à l’étranger, mon cœur est à la petite ville. Peut-être que cela vous surprend, parce qu’il y a plus de personnes âgées que de jeunes dans les centre-bourgs ; parce que la fête, la culture, les opportunités d’emploi, se trouvent a priori plutôt en ville. Peut-être..mais nos centre-bourgs, on y tient.

Étant jeune et inquiète face aux enjeux climatiques, sociaux et politiques, auxquelles ma génération risque de faire face dans les prochaines années, j’ai l’intuition qu’il vaudra mieux se trouver dans une commune rurale, car les opportunités d’échanges se font dans un plus petit périmètre. Le « local », il peut être dans nos assiettes, dans nos relations, dans nos luttes, dans nos matériaux de construction…, quand la bétonisation dense ne s’étend pas sur plusieurs dizaines de kilomètres autour de chez-soi. L’entraide me parait elle aussi plus accessible, lorsqu’elle est locale, lorsque l’on se connaît que l’on fait réseau. Par ailleurs, la qualité de vie se détériore dans les villes les plus peuplées (les logements sont de plus en plus petits, la nourriture vient de plus en plus loin, les habitants se connaissent de moins en moins…).

À mon avis, pour aujourd’hui et pour demain, il est important de garder nos centre-bourgs ruraux et péri-urbains vivables et vivants.

Une histoire d’humains

Agent de banque, ouvreuse au cinéma, gérante d’une laverie, vendeuse dans un magasin de décoration, et dans un magasin de confection : mes grands-mères, marraine et arrières grand-mères ont passé grand nombre de leurs journées derrière la vitrine d’un rez-de-chaussée commercial. Ce n’est pas vraiment pour leur rendre hommage que je travaille sur les lieux qu’elles ont habité, cependant l’idée que des personnes (et oui, en l’occurrence certaines de mes proches) aient investi du temps, de l’énergie, de l’argent et sûrement de l’émotion, dans des espaces qui restent aujourd’hui à l’abandon me serre le ventre.

C’est sans doute une des raisons pour laquelle cette enquête n’est pas une recherche « scientifique » ou une enquête objective : elle existe aussi grâce à ma sensibilité, et à l’affection que je porte personnellement aux locaux commerciaux de centre-bourgs.

« Vider Paris », Nicolas Moulin, 2001.

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« Est-ce que cette image, on l’assume comme un portrait de notre société aujourd’hui ? Est-ce que c’est ça que l’on va graver dans le manuel d’histoire de la ville ? Est-ce que c’est ça que l’on a envie de léguer comme patrimoine aux générations futures ? » [AUFFRET, 2021]

Les propos Pierre-Marie AUFFRET au sujet des images de Nicolas Moulin réalisée dans le cadre de son travail « Vider Paris » résonnent aussi lorsque l’on fait face à la photographie d’un centre-bourg dont les rez-de-chaussée sont faits de vitrines aux rideaux métalliques fermés…